Catherine Touaibi • Mise en lumière de soi • Coach

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Bertrand Piccard: Sortons de la dualité !

 

Anne Ghesquière: Vous parlez de vous en tant que pionnier-réaliste, un pionnier qui serait utopiste.

 
Bertrand Piccard: L’utopie, c’est des choses qui me hérissent parce qu’en fait on n’arrive à rien, on n’arrive à aucun résultat. Si on dit que la nature humaine doit changer. OK, on l’a dit, c’est vrai mais ensuite vous faites quoi ? Si on dit que le monde doit devenir altruiste, que le monde doit devenir respectueux de l’environnement, tout ça c’est vrai. Mais ça débouche sur quoi ? Ça débouche sur rien du tout. Ça débouche peut-être sur la déception et l’éco-anxiété.
 
Je préfère parler de réalisme. Le réalisme c’est quand on veut atteindre un résultat, indépendamment de sa propre idéologie. C’est-à-dire qu’on comprend que tout seul on n’y arrive pas - en pensant comme on pense - et qu’on a besoin des autres.
 
Si on n’est que écologiste, on ne va pas réussir. Si on n’est que philosophe utopique, on ne va pas réussir. Si on n’est que industriel, on ne va pas réussir. En politique, c’est la même chose. Etre complètement à gauche ou complètement à droite, ça va pas marcher. Ce qu’on a besoin c’est de la partie ouverte, positive et constructive de chacun, dans son désir de s’ouvrir aux autres.
 
On a besoin de la gauche et de la solidarité. On a besoin de la droite et de la responsabilité individuelle. On a besoin des écologistes pour pouvoir respecter la planète davantage. On a besoin de l’industrie pour commercialiser des solutions.
 
Si chacun veut faire tout seul, il n’y arrivera pas. On arrivera - comme le dit Boris Cyrulnik - à des mangeurs de vent qui vont développer des grandes théories, qui vont être sûrs qu’ils ont raison, qui vont attaquer tous les autres et qu’ils n’atteindront aucun résultat parce qu’ils vont créer de la résistance et de l’opposition au sein de tous ceux qui les entourent.
 
 

Dans le Taoïsme qui est une philosophie que je trouve extrêmement intéressante, les Chinois - il y a déjà des milliers d’années - avaient compris que le monde dans lequel on vit, incarné dans la matière, ne peut être que duel. Il y a une dualité évidente, on ne peut pas faire autrement. Il y a le bon et le mal, il y a le chaud et le froid, il y a le jour et la nuit, il y a le haut et le bas, il y a la souffrance et le bonheur, tout cela existe. On ne peut pas avoir qu’une partie, on a forcément les deux parties. La polarité est le résultat de la dualité dans laquelle on vit. Toute la philosophie taoiste visait à essayer de réconcilier les extrêmes pour trouver une unicité. Donc c’est une voie spirituelle.

 

J'ai l’impression que cela peut très bien se faire aussi entre l’écologie et l’économie, entre la gauche et la droite. On ne peut pas être ou de gauche ou de droite. On doit être et de gauche ET de droite. On doit être et écologiste ET économiste. Tout seul une de ces voies ne marche pas. Je ne dis pas qu’il faut être au centre. souvent le centre c’est ni de gauche, ni de droite. on ne fait pas ce qu’on doit faire à gauche, on ne fait pas ce qu’on doit faire à droite. Il faut faire les deux. Il faut arrêter de croire que c’est contradictoire.

 

Il faut sortir de cette idéologie de conflit, de combat, de lutte des classes, pour voir que si on n’a pas de solidarité envers les plus pauvres, si on n’améliore pas la qualité de vie des plus démunis, c’est moralement inacceptable, c’est sécuritairement dangereux et c’est économiquement ridicule. Parce que ça coûte cher à tout le monde. On a des gens qui ne peuvent même pas assumer leurs propres besoin et consommer un peu de ce qui est mis sur le marché. Economiquement c’est idiot en plus d’être moralement inacceptable. La droite devrait pousser la solidarité beaucoup plus. La gauche doit aussi voir que sans responsabilité personnelle, que sans entreprenariat, on ne peut pas développer non plus la vie des plus démunies. On doit avoir un pays riche d’une manière à ce qu’il y ait de la redistribution. S’il n’y a pas de redistribution, s’il n’y a pas d’argent pour la santé, pour l’éducation, pour les retraites, ça ne marche. Donc il faut arriver à réconcilier les deux extrêmes dans une voie qui recherche l’unicité.


Anne Ghesquière: Ce que vous exprimez, demande une forme de sagesse intérieure, et justement d’avoir cheminé à l’intérieur de soi, ce qui n’est pas le cas de beaucoup de politiques. Est-ce qu’il faut éduquer les gens à une forme de conscience, que ce soit à travers les sciences, à travers la politique, l’éducation. Est-ce qu’il y a ce travail d’intériorité à faire pour arriver à ce type de constat qui finalement est assez peu partagé dans les hautes sphères ?

 

Bertrand Piccard: Le système du clivage, la pensée clivante où on croit que quelque chose est tout bon et que l'autre est tout mauvais, c’est la manière infantile et immature de penser d’un enfant qui ne s’est pas encore développé psychiquement. Il se dit: ça j’aime donc c’est bon, ça j’aime pas, donc c’est pas bon.
le problème est qu’il y a des gens qui restent clivés dans une pensée qui n’a pas évolué. Ils restent comme adultes avec la même vision du monde qu'un enfant. C’est très pénalisant pour eux. Ils n’arrivent pas à évoluer. Ils n’arrivent pas à intégrer d’autres manières de voir, de penser, Ils en souffrent et il font souffrir la société.

Ce qui est fondamental, c’est d’arriver à mûrir. C’est de s’ouvrir à ceux qui pensent différemment, c’est de s’ouvrir à d’autres courants de pensée. C’est un exercice psychique. Chaque fois se dire: et si l’autre avait raison ? Qu’est-ce que ça changerait pour moi ? Qu’est-ce que ça changerait pour la société ? Qu’est-ce que ça changerait dans ma vie ? Et on voit souvent que l’autre a partiellement raison.


Les gens devraient changer d’altitude pour lâcher un peu de lest, de nos certitudes, de nos habitudes et de nos préjugés pour prendre une autre altitude, c’est-à-dire une autre influence, une autre vision du monde où forcément notre vie va nous amener dans une autre direction. C’est comme ça qu’on fonctionne en ballon, on lâche du lest, on lâche du poids, on change d’altitude, on prend un autre courant aérien qui va dans une autre direction. C’est ça qu’on doit être capable de faire en soi grâce aux autres qui pensent autrement.

 

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